Le PdS, un outil largement dépassé

Le Plan de secteur est le socle de tout l’édifice de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme. Pour le meilleur… mais aussi pour le pire.

Bonnes intentions et dures réalités

Le point de départ du Plan de secteur – « organiser l’espace territorial wallon et en définir les différentes affectations afin d’assurer le développement des activités humaines de manière harmonieuse et d’éviter la consommation abusive d’espace » [1]- est évidemment positif.  Planifier l’avenir en intégrant contraintes environnementales et besoins humains est bien sûr mieux que de l’abandonner à la seule loi des calculs marchands et financiers des promoteurs.

De plus, contrairement à ce qu’on pourrait penser aujourd’hui, la mise en place des Plans de secteur locaux entre 1977 et 1987 montre que ses concepteurs avaient déjà une claire conscience des risques pesant sur l’environnement et l’intention d’arrêter la machine à dévorer les espaces verts et agricoles.

Ainsi, par exemple, l’arrêté de la Région wallonne qui, en 1987, valide le Plan de secteur de Liège insiste sur la nécessité « d’assurer l’application des principes d’aménagement suivants : 

  • coordonner les diverses décisions relatives à l’affectation du sol en tentant d’éviter les conflits ; 
  • arrêter la dispersion de l’habitat ;
  • protéger les espaces ruraux nécessaires à la viabilité et à la rentabilité de l’agriculture et de l’élevage ;
  • veiller à la sauvegarde des forêts et des espaces boisés, de la flore et de la faune ;
  • prévoir judicieusement les zones nécessaires à l’expansion économique ;
  • prévoir les orientations propices au réaménagement des sites d’ancienne activité industrielle ;
  • protéger les sites naturels tout en permettant de répondre aux besoins du tourisme et des loisirs. » [2]

Voilà qui sonne très intelligent et très actuel. Mais, quand on voit ce qui s’est passé pendant les 30 ans qui ont suivi, on se rend compte de la distance qu’il y a entre la chaleur de ces belles intentions et les froids calculs financiers des promoteurs et de ceux qui, dans les pouvoirs publics, n’ont cessé de leur faciliter le travail !

Alors, où et comment les choses ont-elles dérapé ? 

Le péché originel : la répartition des zones

Si vous demandez aujourd’hui à un(e) architecte sur quels critères ont été effectués les choix d’affectation des parcelles dans les années 70, vous verrez ses sourcils monter vers le ciel et ses yeux s’écarquiller. En fait, personne n’en sait (plus) rien !

C’est ainsi qu’une grande partie des parcelles cultivées ont été placées en « zones agricoles » (logique !) mais que beaucoup d’autres ont été placées en « zones d’habitat ». Pourquoi ? Parce qu’à l’époque, l’idée dominante était de permettre à tous ceux qui voulaient quitter la ville de s’installer à la campagne – ou au moins dans la verdure à proximité de la ville. Mais aussi parce que les promoteurs souhaitaient disposer d’un maximum de terrains à bétonner, asphalter et urbaniser. Et parce que, le terrain à construire valant beaucoup plus que le terrain agricole, les propriétaires de ces terrains pouvaient espérer réaliser de bien bonnes affaires à la revente de leurs terrains.

Et, de fait, le fossé entre les prix des terrains en zones agricoles et terrains en zones d’habitat (à construire) n’a cessé de se creuser ; actuellement, le prix d’un m² de terrain agricole est en moyenne de 2,60 EUR en Wallonie tandis que celui d’un m² de terrain à construire varie entre 40 EUR dans le sud des provinces de Namur et de Hainaut et 160 EUR à Waterloo !

Source : europeansectionlgm.typepad.fr/

On touche là au cœur du problème. Les zones « agricoles » ou « forestières » renseignées comme telles dans le plan de secteur ont été protégées et sont restées majoritairement des zones agricoles et forestières. Par contre, les zones « d’habitat » et zones « d’habitat à caractère rural » recouvrent à la fois des zones déjà bâties et des zones qui pourraient le devenir (tout en restant provisoirement dans leur état de forêts, de prairies et de cultures).

Pas facile d’être agriculteur en lisière des villes

C’est sur ces zones « potentiellement » à bâtir que se concentrent depuis 30 ans les problèmes et les conflits. Car la « largesse » dont ont fait preuve les autorités publiques en matière de zones pouvant être urbanisées n’a absolument pas permis de freiner l’étalement urbain et la destruction d’espaces naturels ou cultivés. Au contraire, cet étalement s’est réalisé partout : aux abords des villes mais aussi des villages et en ruban le long des routes. Et c’est loin d’être fini : à ce jour, alors que des centaines de lotissements et de centres commerciaux ont vu le jour depuis 30 ans, 32% des terrains en zone d’habitat ne sont pas encore construits [3], ce qui constitue une gigantesque réserve foncière, bien plus grande que les besoins en logements.

A cela, il faut encore ajouter que le Plan de secteur n’est pas figé. Le problème, c’est que la grande majorité des modifications qui y ont été apportées ont consisté à transformer des zones agricoles et forestières en zones d’habitat ou d’activité industrielle ou commerciale ! Par contre, il y a eu très peu de changements dans l’autre sens. La raison la plus évidente est qu’il y aurait dans ce cas de grosses compensations financières à payer aux propriétaires de ces terrains, étant donné que la valeur des terrains en zone agricole ou forestière est beaucoup plus faible que celle des terrains en zone d’habitat. Mais d’autres possibilités existent légalement, comme l’échange de terrains, et sont beaucoup trop peu utilisés par les pouvoirs publics.

Caricature de Pierre Kroll – Source : urbanisation.canalblog.com

Revoir le Plan de secteur

Aujourd’hui, les conséquences dramatiques pour l’environnement du modèle « des lotissements partout à la campagne » deviennent de plus en plus évidentes. Cela amène à vouloir freiner puis empêcher l’étalement urbain autour des villes et des villages. L’objectif affirmé aujourd’hui par les pouvoirs politiques est d’arriver à « stopper la bétonisation » en 2040 en Flandre et en 2050 en Wallonie. Mais la conséquence immédiate de cette perspective, c’est la ruée des promoteurs pour réaliser le maximum de lotissements sur les terrains qu’ils ont achetés au cours des 50 dernières années dans les zones rurales ou en périphérie des villes.

Illustration extraite du site internet d’Inter Environnement Wallonie (IEW) qui est notamment l’auteur d’un ouvrage très fouillé sur le thème Stop Béton téléchargeable via ce lien

Une remise à plat du Plan de secteur – en intégrant toutes les contraintes liées à la nécessité de lutter réellement contre l’étalement urbain, au besoin de maintenir (et de relancer) une agriculture paysanne, à l’urgence de protéger et de renforcer la biodiversité et de lutter contre le dérèglement climatique – est clairement indispensable. Elle impliquerait notamment une beaucoup plus grande protection des espaces agricoles et forestiers placés en zones d’habitat il y a 30 ou 40 ans. Des annonces d’une réflexion en ce sens ont été faites ces derniers mois par le gouvernement wallon. Mais on ne sent pas le monde politique bouillonner d’envie de se lancer dans ce grand chantier. Pour l’y pousser, une forte pression de la population, et en particulier des collectifs d’habitants et des associations environnementales est donc indispensable.

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[1] Géoportail de la Wallonie, Plan de secteur en vigueur – Fiche descriptive

[2] Arrêté de l’Exécutif régional wallon du 26/11/1987, téléchargeable sur le site Portail Wallonie.be, Aménagement du territoire, Logement, Patrimoine et Énergie, Données documentaires

[3] Portail Wallonie.be, État de l’environnement wallon, Terrains non urbanisés en zones d’habitat aux plans de secteur


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