Ce 21 janvier 2021 s’est ouverte à Beyne-Heusay une enquête publique qui se clôturera le 19 février à 16h00. Elle concerne un projet de réaménagement de la ferme Sainte-Anne, cet imposant bâtiment en U qui domine tout le site du Ry-Ponet et offre des vues panoramiques imprenables sur tout le bassin liégeois.
Bonne nouvelle, pourrait-on dire, pour cette ferme vieille de plusieurs siècles, reconstruite il y a tout juste cent ans après un incendie, qui a cessé ses activités agricoles dans les années ’90 et est en vente depuis plus de dix ans sans avoir trouvé d’acquéreur jusqu’ici.
Nous sommes nombreux à souhaiter un avenir radieux pour cette ferme et ses alentours, quelles que soient les personnes qui y contribueraient. Mais malheureusement, le projet actuellement soumis à enquête ne lui offrira pas ce bel avenir.
Notre projet de coopérative, leur projet commercial
En janvier 2019, notre Plateforme Ry-Ponet avait lancé un projet de coopérative pour racheter cette ferme et y développer un projet novateur, incluant le développement d’un maraîchage biologique par la vente en circuit court de produits locaux et de saison, l’éducation des jeunes générations au respect de l’environnement (via l’accueil de classes en journée et par la suite en séjour plus long) et un lieu d’information, de rencontre et de partage pour tous les promeneurs et les amoureux de la nature. Ce projet s’inscrivait dans la démarche de création du parc du Ry-Ponet, destiné à protéger durablement et à mettre en valeur un ensemble de près de 400 hectares de terres agricoles et d’espaces verts entourant Sainte-Anne. Ce projet de coopérative a suscité beaucoup d’intérêt et le soutien de plus de 450 personnes qui se sont engagées comme candidats coopérateurs.
En septembre 2019, nous avons été contactés par un promoteur de la région de Malmedy, le bureau Scheen-Lecoq, qui nous a annoncé avoir entamé le processus d’achat à la fois pour la ferme et ses terrains (2,7 hectares comprenant également la chapelle Sainte-Anne et ses tilleuls) et pour deux autres terrains à Beyne-Heusay, actuellement cultivés (6,5 hectares rue Sainte-Anne et 7,5 hectares à Chat Pirard). Le promoteur nous a expliqué vouloir « faire notre projet de Ferme » et compter, en retour, sur la collaboration de notre Plateforme pour porter d’une même voix (favorable !) aux autorités son projet de construire deux lotissements, pour un total de 230 logements, sur le site du Ry-Ponet. Notre Plateforme avait refusé ce « marché ».
La société immobilière a présenté son projet global au Conseil communal de Beyne-Heusay le 17 février 2020 et notre Plateforme a fait connaître publiquement son opposition à ces projets de lotissements en avril 2020.
Aujourd’hui, c’est une société liée à cette société immobilière – Scheen Project sprl – qui a déposé une demande de permis pour transformer la ferme et lui donner de nouvelles affectations.
Cette démarche est donc totalement indépendante de celle de la Plateforme Ry-Ponet. Sur l’essentiel, elle en est même complètement à l’opposé.
Certes, quelques éléments du projet de réhabilitation de la ferme élaboré par notre Plateforme se retrouvent dans la recette concoctée par la société Scheen Project. Mais pas comme des ingrédients essentiels du projet, plutôt comme des garnitures pour faire passer la pilule en douceur. Car la ferme Sainte-Anne, dans la version Scheen Project, est avant tout un projet commercial.
Une ferme ? Non, un dancing !
Le cœur du projet, c’est l’aménagement de deux grandes salles pour « événements » pouvant accueillir chacune un peu plus de 200 personnes, donc un total d’un peu plus de 400 personnes. Sont annoncés au programme « expositions, séminaires, conférences, mariages ». On voit pourtant assez mal l’arrivée d’expositions qui occuperaient en continu une partie de l’espace sans rapporter grand-chose. Comme il n’est pas prévu de bureaux, de plus petites salles, ou de moyens permettant de diviser les grandes salles afin de permettre des séances en travail en groupes, on voit assez mal comment ce projet pourrait accueillir des séminaires. L’objet réel de ces salles sera donc d’accueillir avant tout mariages, soirées dansantes et autres joyeuses occasions de guindaille.
Cette supposition est renforcée par le fait que le dossier de demande de permis indique la possibilité de diffusion de musique 100 jours par an (soit tous les weekends de l’année) et ce jusque 3 heures du matin.
Aux optimistes qui pourraient penser que le bruit peut se cantonner à l’intérieur d’une salle, rappelons que les fenêtres sont autant de points faibles et que l’on peut s’attendre, spécialement en belle saison, à ce que les convives entrent et sortent et que les danseurs aient s’en griller une ou deux sur le parking ou sur la terrasse. Des sas n’étant pas prévus, la musique donnera chaque fois à fond à l’extérieur. De surcroît, la ferme Sainte-Anne est située sur une crête et tous les vents de la région s’y donnent rendez-vous et disperseront le bruit. Bon nombre d’habitants de Beyne-Heusay mais aussi des hauteurs de Chênée et Grivegnée pourront donc faire tourner les serviettes avec Patrick Sébastien et se déhancher avec Rihanna pendant leurs nuits d’été. Avec une mention spéciale pour les patients du CHU Notre-Dame des Bruyères, installé sur l’autre versant du vallon du Ry-Ponet, à quelques centaines de mètres à peine de la ferme et avec un espace bien dégagé entre les deux.
Séjour à la ferme … ou en discothèque
Ces deux grandes salles seront accompagnées de la création de 17 chambres de type « chambre à la ferme » (sans mention de ce que cela signifie), chacune disposant de sa salle de bain. Par contre, il n’est pas prévu d’espace collectif, ni de réfectoire (une seule cuisine destinée aux activités organisées dans la grande salle en bas), ni même d’espace d’accueil pour les clients. On voit mal dans de telles conditions des séjours de groupe et encore moins des classes vertes.
Le public familial serait-il donc celui qui est visé ? Quand on constate qu’il n’y a pas de place pour l’accueil des clients, pas de bureau pour la réception, pas de bar ou de pièce de détente… et qu’il n’y a pas non plus de logement pour un concierge ou un responsable, on est pris d’un doute.
Soit Scheen Project est un visionnaire qui a identifié un vaste public aimant combiner le plaisir du séjour à la ferme avec l’anonymat de l’accueil dans un Formule 1, soit le public familial, n’est pas non plus son « cœur de cible » (surtout le weekend, avec soirées dansantes jusqu’à 3 heures du matin).
On en est donc réduit à conclure que les chambres de type « à la ferme » ont surtout été imaginées pour loger les fêtards trop bourrés à 3 heures du mat’ pour reprendre leur voiture et qui pourraient dégriser à leur aise avant de reprendre la route le lendemain. C’est certainement une bonne nouvelle pour la sécurité routière à Beyne-Heusay. Il faudra juste espérer pour ces noctambules que la basse-cour de démonstration installée à côté de la ferme n’héberge pas un coq trop matinal.
Le maraîchage … par les nuls
Aux activités festives prévues à la ferme s’ajoutent quelques activités en plein air. Au premier rang : le maraîchage, présenté comme un aspect important du projet. Tellement important que la surface précise n’est pas indiquée dans le dossier et que les terrains sont orientés plein nord. On s’étonnera également de l’absence de logement prévu dans le projet pour le maraîcher qui, comme s’accordent tous les experts sur ce point, doit absolument loger à proximité de ses cultures.
Le produit-phare de ce maraîchage sera le houblon dont la récolte sera destinée à alimenter la micro-brasserie qui devrait venir s’installer dans la ferme.
Cette micro-brasserie est donc le troisième aspect-phare du projet. Elle est importante pour l’image « production locale » du projet. Sa capacité nominale de production annoncée est de 500 litres par jour. Le dossier est cependant fort peu détaillé en ce qui concerne cet aspect du projet, et notamment les fournitures. Une brasserie, même micro, consomme beaucoup d’eau. Or, le projet semble très discret sur les rejets d’eaux usées par infiltration dans le sol après le passage dans la micro-station d’épuration. D’autre part, avant que la production locale de houblon soit suffisante (pour autant qu’elle puisse l’être un jour) et qu’elle puisse être séchée sur place (ce qui nécessite des locaux non prévus dans les plans), cette belle céréale devra arriver en camions. Ce qui n’est pas rien quand on connaît l’état de la rue Sainte-Anne.
Voilà qui nous conduit tout naturellement aux questions d’accès, de transport, de mobilité et de sécurité.
Une histoire de fêtes et de pierrailles
Commençons directement par le plus visible : le parcage des véhicules. Conformément au but réel de la ferme – accueillir mariages et soirées dansantes – Scheen Project prévoit la réalisation de 60 places de parking. Un nombre énorme en comparaison de la situation actuelle … mais qui ne suffira vraisemblablement pas si le DJ est bon et les deux salles sont bien remplies avec les 400 personnes prévues (qui devraient arriver en s’entassant à 6,66 personnes par voiture). On peut donc s’attendre à des débordements dans les champs alentours et sur la rue Sainte-Anne (pour rappel, selon un autre projet de la société jumelle Scheen-Lecoq, cette rue doit aussi accueillir un nouveau lotissement d’environ 130 logements) et à une extension rapide du parking sur les terres agricoles, avec autorisation ultérieure … ou pas.
Imaginons donc un jour de grande fiesta de mariage à la ferme. Le ballet va commencer le matin avec les véhicules de livraison. Puis le personnel engagé pour la journée. Suivront les responsables de la sono. Ensuite arriveront les invités. Si le repas de mariage a lieu après la cérémonie, c’est pendant toute l’après-midi que vont arriver et repartir famille, amis et invités. Pour peu que les mariés ne soient pas pressés de partir en voyage de noces et bien décidés à ne pas perdre de temps pour faire la fête, toute la soirée verra défiler les joyeux noceurs en direction de la ferme. Si la petite sauterie est prévue jusqu’à 3 heures du matin, les derniers arrivants franchiront sans doute les portes vers minuit, heure à laquelle les moins résistants commenceront à faire le trajet en sens inverse. Enfin, entre 3 et 4 heures, les plus costauds repartiront vers la ville, avec les habituelles grandes démonstrations de joie et d’affection aux mariés et quelques dérapages et freinages de bon aloi. On peut penser que pas mal d’habitants de la rue et du quartier demanderont vite qu’on réinstaure un couvre-feu !
Ajoutons à cela que la rue Sainte-Anne ne fait que 3 mètres de large. Elle est un lieu de promenade fréquenté par de nombreux promeneurs, à pied, à cheval ou en vélo, seuls, en familles avec jeunes enfants. Le weekend, le partage de la rue avec un charroi automobile s’annonce donc difficile, pénible et plein de risques pour les habitants et les promeneurs.
De plus, la rue Sainte-Anne est constituée d’un simple empierrement, aujourd’hui totalement défoncé, qui ne décourage pas les promeneurs mais qui n’est pas compatible avec le trafic de soirées dansantes et de mariages. Qu’à cela ne tienne, Scheen Project a la solution. Il propose d’aménager trois zones de croisement – de 20 mètres de long – en élargissant donc le passage à ces endroits et de réaliser – à son compte – un nouveau revêtement de la rue en reprofilant l’empierrement. Idée lumineuse mais qui perd quelque peu de vue la réalité. La ferme Sainte-Anne est voisine d’une exploitation agricole et d’une exploitation forestière. Une paire de bonnes draches, quelques va-et-vient de tracteurs bien imprégnés de terre, quelques belles manœuvres du camion articulé évacuant les troncs d’arbres, quelques camionnettes de livraison pour la microbrasserie et les salles de fête, deux ou trois cents passages de voitures en aller-retour pour la fiesta à la ferme et, en une semaine, l’empierrement nouveau se retrouvera sur les bas-côtés et dans les champs, rendant à la rue son revêtement actuel.
Il est également possible que, guidés par leur GPS, certains invités empruntent la rue Chaudthier ou Aux Piedroux et arrivent par le tronçon ouest (dépourvu de revêtement) de la rue Sainte-Anne, faisant de Touring Secours une société heureuse.
Cadre bucolique et patrimoine malmenés
Pour les amis du patrimoine, ajoutons à ce tableau que les façades de la ferme seront défigurées par le percement de portes de sorties de secours et de nouvelles baies. De même, le volume d’aspect « carré », ancré dans le paysage, sera déforcé par un escalier de secours extérieur, du plus splendide effet juste en arrière-plan du site classé de la chapelle Sainte-Anne.
Ce site est d’ailleurs tellement respecté par le promoteur qu’il a oublié d’en dessiner un de ses majestueux tilleuls. Ou alors, il a anticipé son abattage, en étant tout à fait conscient que le nouveau chemin qu’il va créer entre la ferme et la chapelle endommagera de manière irréversible le système racinaire de cet arbre vieux de plus de 200 ans.
Notons encore que le promoteur suggère également de démonter la croix voisine de la chapelle pour la remplacer par un élément « décoratif ». Et qu’on peut craindre le pire pour la haie remarquable qui longe une grande portion de la rue Sainte-Anne qui risque de fortement souffrir des manœuvres des gros véhicules et de la pollution automobile !
Un NON à ce projet s’impose
Présenté comme cela, ce projet a un peu l’air d’une farce pas très sérieuse. Il est pourtant très dangereux.
Dire qu’il est peu soucieux des habitants de la rue Sainte-Anne est une évidence. Dire qu’il n’est pas prévu pour favoriser la découverte du parc, encourager la mobilité douce, le tourisme vert et la sensibilisation des enfants et des jeunes à l’environnement en est une autre. Dire que son objectif est avant tout commercial et financier et qu’il est là pour ajouter une prétendue touche verte à des projets de lotissement ne peut pas être contesté. Dire qu’il est en contradiction ouverte avec tous les objectifs que défend la Plateforme Ry-Ponet est une constatation de bon sens.
Et dire haut et fort que nous ne voulons pas de ce projet et que nous appelons les habitants et tous les amoureux du parc du Ry-Ponet à le rejeter à l’occasion de cette enquête publique est la seule conclusion qui s’impose.
Pour consulter le dossier de demande de permis (cloturé) :
Sur internet:
Il faut faire une demande à Melle Pauline Maréchal
L’accès qui vous sera donné est personnel et ne peut être diffusé.
A Beyne-Heusay:
Il faut prendre rdv avec l’agent traitant Mme Corinne Lambinon
Pour envoyer une lettre de réclamation, c’est facile!
On vous explique ça ICI.