« Apprécier un paysage ou pas, c’est un truc personnel » Et bien non ! Ou plutôt, ce n’est « pas que » un truc personnel. Car si les émotions que chacun peut ressentir devant un paysage varient grandement d’une personne à l’autre, des éléments objectifs scientifiques contribuent à l’analyse paysagère et permettent de débattre de l’avenir de nos paysages.
Démonstration par l’exemple du Ry-Ponet.
Dans l’étude d’incidences accompagnant le permis d’urbanisation du projet immobilier des « Haïsses-Piedroux » consistant en la construction d’un méga-lotissement de 520 logements (comprenant notamment une tour d’appartements de neuf niveaux), on pouvait lire : « Nous n’avons pas diagnostiqué d’axe de dégagement paysager lointain sur lequel le projet pourrait avoir un impact significatif ». [p. 199]
Intuitivement, toute personne s’étant un jour promenée non seulement sur les 30 hectares directement impactés par ce lotissement mais aussi sur les sentiers, les pentes et les plateaux environnants, sent bien qu’il n’en est rien et que de nombreux points de vue et panoramas seraient inévitablement altérés par le surgissement d’alignements de maisons et l’érection d’une telle tour.
Mais il y a moyen d’aller plus loin que l’intuition et de montrer, cartes en main, qu’un tel projet aurait un impact visuel énorme sur les paysages.
C’est ce qui ressort d’un travail minutieux accompli par trois étudiantes dans le cadre du cours de Morphologie urbanistique et Intégration paysagère du Professeur Jacques Teller au programme du Master de spécialisation en Urbanisme et Aménagement du Territoire de l’Université de Liège.
Sophie Durieux, Maude Gilles et Justine Gloesener ont scruté en détail les qualités paysagères du site du Ry-Ponet. A partir d’une analyse serrée combinant des approches sensibles, historiques et analytiques, elles ont démontré à la fois la richesse en paysages divers de ce site, l’existence de nombreux points de vue et la qualité de ceux-ci.
L’analyse des cartes historiques sur une période d’environ 250 ans allant de 1777 (carte de Ferraris) jusqu’à la fin du XXe siècle (carte IGN, 1997) a mis en évidence le développement de l’urbanisation jusqu’à l’enclavement complet de l’espace ouvert central : le site du Ry-Ponet.
En 2004, à la demande de la Région Wallonne, l’asbl ADESA a inventorié l’espace du Ry-Ponet comme « Périmètre d’Intérêt Paysager », périmètre qui regroupe « des espaces au sein desquels les éléments du paysage se disposent harmonieusement ». De nombreux points de vues et points de vue remarquables (lieux ponctuels d’où l’on jouit d’une vue particulièrement belle) ont également été définis. (pour une explication sur ces points de vue, voir la fiche descriptive du Geoportail de la Wallonie ici ; pour connaître notre avis sur la protection de ces Périmètres et de ces Points de vue, voir le courrier que nous avons envoyé lors de l’enquête publique sur le projet de SDT ici)
Chacun des points de vue ADESA a fait l’objet d’une analyse.
Celle-ci contient une description minutieuse des éléments composant le paysage et une comparaison entre les clichés de 2004 et les vues actuelles, accompagnée par un schéma d’analyse de la structure paysagère. Les éléments historiques y ont été repérés en s’appuyant sur l’analyse des cartes anciennes.
Plus innovant, l’analyse de chaque « point de vue » a été complétée par un calcul de « bassins de visibilité ».
Le bassin de visibilité d’un point se représente sur une carte sur laquelle sont colorés tous les endroits alentours qui sont vus depuis ce point, et réciproquement, la carte montre tous les endroits qui voient le point.
Après l’analyse de chacun des points de vue, c’est une analyse globale du Périmètre d’Intérêt Paysager qui a été réalisée, en y apposant un maillage de 100 mètres par 100 qui a ainsi défini 155 points. Le bassin de visibilité de chacun de ces 155 points a été calculé et les 155 cartes ont été superposées. Le résultat permet de mesurer les zones vues depuis quelques points du site (jaune) ou depuis presque tous les points du site (rouge) mais aussi, par le principe d’intervisibilité, d’évaluer la visibilité (partielle ou globale) du site du Ry-Ponet depuis l’extérieur.
Les résultats permettent de quantifier combien le site du Ry-Ponet est perceptible depuis de multiples endroits dont un certain nombre de points de vue considérés comme de très haute valeur paysagère et écologique (comme la lande de Streupas par exemple).
Ce travail montre également, par calcul, l’impact visuel du projet immobilier de la société Neufcour, sur son environnement direct et lointain. Celui-ci est loin d’être anodin, contrairement à ce qu’affirmait l’étude d’incidences accompagnant le projet.
Enfin, cerise sur le gâteau, les trois étudiantes ont conclu leur travail par des pistes de réflexion pour un parc paysager au Ry-Ponet, en faisant une étude comparative avec différents modèles, dont le parc de la Deûle dans la métropole lilloise. Celui-ci a été établi progressivement en partenariat avec différents acteurs, dont les propriétaires des terrains voisins de ceux acquis par « Lille Métropole ». Le parc de la Deûle est un modèle de projet pouvant nous conduire vers un parc paysager de dimension métropolitaine pour l’agglomération liégeoise : le parc paysager du Ry-Ponet.
Télécharger l’étude complète (format PDF) en cliquant ici.
Le travail a fait l’objet d’un article court mais très bien illustré dans « Le Quinzième Jour », quadrimestriel de l’Université de Liège, numéro 272 de janvier-avril 2019. Plus d’infos ici.