Le château des Bruyères, partie 3

Du sanatorium au CHU (20e siècle)

Si le château des Bruyères a acquis sa forme extérieure définitive dès 1873, il va connaître une succession de changements dans son affectation et de nouvelles transformations intérieures tout au long du 20ème siècle.

Un nouveau changement de propriétaire en 1907

À la fin de sa vie, miné par des épreuves personnelles, Gaston de la ROUSELLIÈRE confie à la mère supérieure de la congrégation des Filles de la Croix son désir de voir son château devenir un sanatorium pour les malades pauvres. La mère supérieure promet d’y donner suite. Mais Gaston de la ROUSSELIÈRE ne voit pas son vœu se réaliser. Il décide alors de vendre le château en 1907 au chevalier Charles de HARLEZ DE DEULIN, son cousin, président de la province des Conférences de Saint-Vincent de Paul.

La Première Guerre mondiale

La famille de HARLEZ DE DEULIN émigre en Angleterre au début de la Première Guerre mondiale, à l’exception de deux fils qui meurent au combat.

Le site étant considéré comme stratégique, le château est occupé par la Kommandatur allemande. Son chef terrorisait les habitants des communes des environs en prenant des otages ou en déportant les hommes vers l’Allemagne. Le château est fortement dégradé, tout comme le parc.

Les officiers allemands posent devant la Clinique des Bruyères, extrait de LEJAXHE Jean-Louis, Le Livre d’Or de Chênée, p. 56.

A la fin de la guerre, le chevalier, meurtri par la perte de deux de ses fils, n’a pas le courage d’entreprendre la restauration du château. Il se dessaisit donc du bien, d’abord par une location aux DALLEMAGNE, puis par une dernière vente.

La vente à la Congrégation des Filles de la Croix

La mise en vente du château en 1919 donne à la mère supérieure de la Congrégation des Filles de la Croix l’opportunité d’acquérir le château et de le transformer en sanatorium, répondant ainsi au souhait de Gaston de la Rousselière. Une société anonyme est constituée dans ce but : la « S.A. des Bruyères », inincluant des laïcs. Parmi les membres du Conseil d’Administration siègent des personnalités comme le comte de Liedekerke, député à la Chambre et bourgmestre de Jehay et le baron Joseph Van Zuylen, avocat et conseiller provincial.

Après d’importants travaux de réparation et de transformation, le château abrite dès lors une école d’infirmières, à l’origine de l’école Sainte Julienne, et ce qu’on appelle désormais le sanatorium Notre-Dame des Bruyères. Celui-ci devient avant la Deuxième Guerre mondiale un hôpital avec deux salles d’opération et 50 lits où étaient soignés principalement les mineurs de Werister et Homvent.

Carte postale de 1929.

La Deuxième Guerre mondiale

En 1938-39, la menace d’une nouvelle guerre se précise plus en plus et l’armée belge occupe plusieurs fois la clinique en s’installant tantôt dans les corps de logis de la ferme, tantôt dans le grand parloir du château mais sans que la clinique cesse ses services.

Célébration d’une messe en plein air face à l’entrée principale du sanatorium. Pendant la seconde guerre mondiale, plusieurs messes interdites par l’occupant furent célébrées en ce lieu. Extrait de ELSDORF Michel, Grivegnée Autrefois, p. 126.

L’hôpital est évacué le 10 mai 40 mais les Allemands ne s’y installent pas et les activités peuvent reprendre normalement. Pendant l’occupation, des cours sont dispensés dans la fruitière. Des membres de l’Armée blanche [1], un mouvement de résistance, trouvent refuge dans les locaux de la ferme. En septembre 1944, un contingent de soldats allemands qui refluent pénètre dans l’hôpital et le fouille sous prétexte de la présence de parachutistes. Le médecin chef de l’époque, le Docteur Streignart, lui-même résistant (chef de secteur du groupe Clarence dirigé par Walter Dewé), doit gérer une situation particulièrement délicate et parvient à faciliter la reddition de ce contingent à l’armée américaine qui vient d’arriver à Chênée. Détail amusant : il sait que les Américains sont là car, le 6 septembre 1944, depuis une des tours du château qu’il utilisait comme poste d’observation, il a vu arriver une colonne américaine montant la côte d’Embourg.

Construction de l’hôpital dans les années 60.

Dans les années 60, de nouvelles normes sont publiées pour les hôpitaux. La clinique des Bruyères doit s’y conformer. Les statuts sont donc modifiés et la SA devient l’ASBL Clinique des Bruyères. La construction d’un nouveau bâtiment est entamée en 1967 et la nouvelle clinique est inaugurée en 1971.

En 2001 intervient un événement étonnant dans un paysage belge très fortement marqué par l’existence côte à côte d’institutions « officielles » d’une part et « chrétiennes » d’autre part : la fusion entre une œuvre privée caritative et confessionnelle, la clinique Notre-Dame des Bruyères, et une institution publique, universitaire et pluraliste, l’Université de Liège. La Clinique devient un site du CHU de Liège.

Extrait du site internet du CHU

Un département de gériatrie voit le jour en 2008 en même temps que l’installation du service des urgences dans un bâtiment neuf voisin du bâtiment des années 60.

Extrait du site internet du CHU

Sa protection et son avenir

Dans l’Inventaire du Patrimoine Immobilier Culturel (IPIC), le château est « pastillé ». L’attribution d’une pastille (•) à un bien inscrit lui reconnaît, lors de cette attribution, une qualité patrimoniale dont la pérennisation est souhaitée.

Nous savons maintenant que l’histoire du château est fortement liée au site dans lequel il s’inscrit et que de nombreux autres témoins (ferme, fruitière, mur de clôture de jardin, drèves, arbres remarquables) méritent également une grande attention.

De surcroît, le château des Bruyères est le seul château de Chénée qui subsiste puisque les trois autres châteaux qui existaient dans la commune ont été démolis [2]. Il est donc temps d’en prendre grand soin.

La fonction d’hôpital, souhaitée par le baron Gaston de la Rousselière, a fait subir au site d’importantes transformations qui vont se poursuivre puisque le CHU puisque le CHU compte entreprendre de vastes travaux afin rehausser l’aile des urgences et d’agrandir le parking. Nous pensons que ces interventions peuvent se faire au bénéfice tant de la fonction publique que du site lui-même, pour autant que ces qualités exceptionnelles soient bien comprises et respectées.

Avant-projet d’extension par le bureau archipelago,, extrait du site internet du CHU.
[1]« La “WITTE BRIGADE” (textuellement Brigade Blanche) fut fondée dès le 23 Juin 1940 par Marcel LOUETTE, un Anversois professeur et Officier de Réserve. Pas moins de 3758 membres furent reconnus. Ces adhésions permirent à la Witte Brigade de couvrir l’ensemble du pays flamand, mais aussi de s’étendre à Theux, à Liège, à Verviers, dans les pays rédimés et jusqu’à Luxembourg. Elle jouera un rôle très important dans la bataille d’Anvers en coordination avec l’Armée Secrète. Elle a à son actif de nombreuses actions de sabotage, le sauvetage, le ravitaillement et l’évacuation d’aviateurs alliés. Des sections sont chargées du dépistage des traîtres et d’autres d’aider les réfractaires et les “illégaux”. La Witte Brigade devint un symbole pour la population à tel point que les non-initiés, en Wallonie comme en pays flamand, donnaient par erreur à l’ensemble des résistants le nom d’ « Armée Blanche » et ceci par opposition aux « Zwarte » (les « Noirs ») ou formation « quisling », les tristement célèbres collaborateurs vêtus de noir. Elle ne représente cependant qu’un mouvement parmi d’autres de Résistance civile armée (extrait de « La Résistance et l’Armée secrète en Condroz namurois», Freddy Bernier, 2017, http://www.crupechos.be/crupetdanslatour/1.-r-sistance-40-45-generalites-compri.pdf

[2] Le château de Chênée ou Château Pirlot a été détruit au début du 20ème siècle pour faire place à l’extension des usines « Cuivre et Zinc » tandis que le château de Beaufraipont, situé près de l’Ourthe, a été détruit en 1930 et le château de Gaillarmont démoli en 1976.


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