Patrimoine, partie 1

(c) Thierry Lechanteur

Partons en promenade à la découverte du Patrimoine que constitue le site du Ry-Ponet : monuments, témoins historiques, éléments du paysage… autant de curiosités à découvrir ou redécouvrir, pour mieux les préserver.

Où se trouve donc ce cadre bucolique à souhait ?

Il se situe sur la dernière avancée du plateau de Herve qui descend doucement vers le confluent de l’Ourthe et de la Vesdre, à l’orée de Liège, en s’étendant sur quatre communes (Fléron, Chaudfontaine, Liège et surtout Beyne-Heusay). C’est un espace paysager de plus de 300 hectares largement préservé jusqu’à présent et remarquablement diversifié : bois, landes, prairies, terres dédiées à l’agriculture et même un vignoble se partagent cet espace qui compte aussi deux manèges, un haras et quelques bâtiments chargés d’histoire en son sein. On y accède par plusieurs entrées dont les principales sont au sommet de la colline, près de l’ancienne gare de Beyne-Heusay, ou au pied de celle-ci à Chênée.

C’est de Chênée que démarrera notre parcours. En longeant le cimetière situé rue de Chèvremont et les anciens abattoirs sur la gauche, on arrive à une bâtisse en moellons de grès et calcaire, dénommée actuellement Ferme du Père Lejeune, anciennement Ferme Goffinet ou de la Haute-Cour. Selon un article signé par Ch-J Comhaire paru dans le n° du 15 juin 1921 du Vieux Liège, elle remonterait au 13e siècle avec remaniement en style Renaissance au 16e. Ce bâtiment est surtout remarquable par son donjon-porche, siège d’une ancienne avouerie aux 13e et 14e siècles, de grand intérêt archéologique, qui a été classé au titre de monument en 1988. Le portail qui marquait l’entrée de cette ferme, aujourd’hui démonté, a été conservé et pourrait être replacé. En effet, cette ferme en carré constitue un ensemble cohérent.

Ferme du Père Lejeune

La ferme marque le départ d’une voie pentue. C’est un petit chemin non pas bordé de noisetiers comme dans la chanson de Mireille mais de strates de schistes tapissées de campanules.

Strates de schiste

Il croise bientôt la ligne 38 qui reliait Vaux-sous-Chèvremont et la vallée industrielle de la Vesdre et les charbonnages à la frontière allemande. Cette ligne est devenue un RAVeL bien fréquenté sur tous ses tronçons.

Si on est curieux d’archéologie industrielle, un petit détour sur le RAVeL en direction de Vaux-sous-Chèvremont s’impose pour découvrir un des plus petits terrils liégeois, celui de Basse-Ransy Nord et sa table d’orientation. Le charbon a été extrait ici de 1827 à 1931.

Terril Basse-Ransy Nord
Terril Basse-Ransy Nord – Panneaux didactiques

Comme on l’apprendra en visitant l’histoire des deux châteaux du site, l’extraction de la houille fut le pilier économique de cette région au 19e siècle et dans la première moitié du 20e. Déjà au 16e siècle, des textes signalent les affleurements de surface et ensuite la création de sociétés de « comparchonniers ». La nature a maintenant repris ses droits sur le terril devenu le refuge d’insectes peu communs qui est aussi parsemé des plantes métallophytes.

Au croisement du RAVeL (Ligne 38) et du Piedroux

De retour au croisement et comme la montée est rude, on s’assied quelques minutes à une table conviviale et on commence à deviner que le paysage va s’élargir. Droit devant, le regard ne peut qu’être attiré par la basilique Notre Dame de Chèvremont située au sommet de la colline du même nom.

Le chemin devient un peu moins pentu au milieu des cultures et en faisant un coude auprès d’un abri militaire en béton, avant-poste du fort d’Embourg. Il s’agit précisément d’un ancien poste permanent de la 3ème position fortifiée de Liège. La fonction de ceux-ci était d’être occupé en permanence afin de pouvoir surveiller les grands axes. Ces abris ont la particularité d’avoir un garage permettant de garer un véhicule à chenille permettant de tracter un canon. Les deux autres pièces du poste permanent étaient respectivement un local de détente ainsi qu’une chambre de tir (canon et mitrailleuse)1.

La situation de ce poste n’a pas été choisie au hasard. Depuis celui-ci, on jouit d’un large panorama. L’asbl ADESA a d’ailleurs classé cet endroit comme « point de vue remarquable » en le décrivant comme « le seul point de vue panoramique situé dans la commune [de Liège] qui permette de découvrir, sur 360°, les 3 vallées (Ourthe, Vesdre et Meuse) et la Basilique de Chèvremont. » 2 Le regard balaie les crêtes de la colline de Mehagne qui surplombe la vallée de la Vesdre. La rivière ardennaise, qui trace ici ses derniers serpentins, a été décrite par Victor Hugo en 1840 lors de son voyage en Belgique comme étant« la plus ravissante vallée qu’il y ait au monde, qui est quelquefois un ravin, souvent un jardin, toujours un paradis ».

Après avoir laissé échapper le regard vers les méandres de l’Ourthe, nous nous retournons et là, vers l’ouest c’est un spectacle urbain : la basilique de Cointe, la gare internationale des Guillemins, la tour des Finances et la densité citadine dans la vallée de la Meuse. L’horizon est quant à lui ponctué par les nombreux terrils témoins du passé minier de notre région.

Vue depuis le Piedroux
Liège et la vallée mosane, vue depuis la rue Piedroux

Le chemin, toujours pavé, longe la limite entre les communes de Liège et Chaudfontaine et nous mène au hameau de Chaudthier où nous faisons le choix de bifurquer vers la gauche en direction d’un manège. Nous nous arrêtons au pied d’un arbre remarquable d’où « une « vue imprenable » s’offre à nous. Enfin « imprenable » si du moins aucun projet immobilier d’envergure ne s’empare du site.

Site Haisses-Piedroux (c) Fred Hérion

En effet, la zone en contre-bas de notre point de vue, actuellement dédié à l’agriculture et entièrement située sur le territoire liégeois, se trouve en zone bâtissable selon le plan de secteur. La prairie en contre-bas où s’ébattent maintenant les chevaux du manège pourrait bien céder la place à une route en épingle à cheveux desservant un méga-lotissement de plus de 500 logements occupant l’essentiel d’une parcelle de 35 hectares couvrant les sites des Piedroux – « Aux Piedroux » est une altération par le cadastre français, au début du 19e siècle, du wallon « Å Pierdoux » – « Aux perdus », allusion au caractère isolé du lieu à cette époque1 – et, au-delà du RAVeL, de la lande des Haïsses.

Ce projet a été rendu public au cours de l’été 2014 par la société Neufcour, détentrice de ces terres et héritière de la SA des Charbonnages de Werister dont le siège se trouvait au Château de Neufcour à Beyne. Des citoyens de Chênée, Liège, Beyne, conscients de la valeur paysagère de ce site, véritable poumon vert, se sont regroupés en plateforme de protection de ce dernier avec l’ambition d’un jour pouvoir en faire reconnaître son intérêt paysager par la création d’un parc périurbain qui permettrait de protéger de façon pérenne, un espace vert exceptionnel pour une métropole en construction.

Site paysager du Ry-Ponet

Ce plan nous montre l’étendue de cette dernière zone verte de 300 hectares d’un seul tenant à la limite de Liège. Cette situation a permis, vu la quasi-absence de constructions, de maintenir une riche biodiversité au sein d’un ensemble paysager remarquable, qualifié par l’asbl ADESA en tant que « Périmètre d’Intérêt Paysager ».

Certes le projet immobilier ne concerne que 10% de l’ensemble de cette zone verte mais il aurait un impact ravageur sur les atouts de cet ensemble et détruirait ce caractère unique.

Lors de l’enquête publique, près de 4.800 citoyens ont envoyé un courrier à la Ville de Liège pour marquer leur opposition. Compte tenu de cette mobilisation et de la perspective d’une année électorale, la société a retiré son projet en septembre 2017… mais en annonçant qu’elle le déposerait à nouveau en 2019. La forme sera peut-être amendée mais l’implantation de centaines de maisons et d’un building de huit étages prévu à l’extrémité du plateau dénaturerait définitivement l’ensemble du site.

La plateforme citoyenne a pris le nom de Plateforme Ry-Ponet, du nom d’un des deux ruisseaux qui traverse le site. En consultant son site internet, vous y découvrirez les objectifs de la Plateforme et aurez un aperçu des richesses patrimoniales du lieu, tant paysagères que monumentales.

Depuis notre point de vue surplombant Piedroux, nous montons à travers bois par le chemin qui reliait jadis les vallées de la Meuse et de l’Ourthe à l’Allemagne vers la chapelle Sainte-Anne. Pourquoi une chapelle dédiée à Sainte-Anne, traditionnellement vénérée en Bretagne ? La chapelle a été bâtie en 1889 afin de protéger un petit monument apporté par des parents de soldats bretons qui périrent ici lors d’un combat d’arrière-garde d’une armée autrichienne en déroute poursuivie par les troupes républicaines françaises en 1794. Une potale est disposée sur un haut socle mouluré daté de cette époque. La niche abritait jadis la statue de Sainte-Anne d’Auray dont le pardon est encore célébré en grande pompe en Bretagne. Avant l’érection de la chapelle, des paroissiens avaient planté cinq tilleuls pour protéger le petit monument et commémorer la mort des cinq soldats. Il en subsiste trois en bon état.

(c) Willi Dorren

Par arrêté du 11 juin 1945, la chapelle Sainte-Anne, avec les tilleuls qui l’entourent, a été classée comme site. Dans son rapport du 18 avril 1944, la Commission Royale des Monuments et Sites motive davantage ce classement par la localisation de ce site que par sa qualité intrinsèque : « Dans Chênée, aucun arbre ne présente un caractère remarquable sinon les 5 tilleuls placés près d’une petite chapelle contre la ferme de Bouharmont. Ces tilleuls sont remarquables et par leur grandeur et par leur âge et par leur position. Ils entourent une petite chapelle sans caractère. De leur enceinte, on jouit d’une vue magnifique sur la vallée de la Vesdre à Chênée, sur l’ouverture de la vallée de l’Ourthe vers Sauheid, et au loin sur les collines de la Meuse en l’assiette de Liège. […] De tous les points des vallées de la Vesdre et de l’Ourthe à Angleur et Chênée on les voit se dresser dominant la contrée. » 1

C’est à proximité de la grande croix celtique qui surplombe cette chapelle (sans doute érigée lors d’un anniversaire) et qui jouxte la ferme Sainte-Anne, autrefois ferme de Bouharmont, que nous mettons un terme provisoire à l’itinéraire qui nous a conduit de l’extrémité basse du parc du Ry-Ponet à la crête qui sépare les vallons des deux ruisseaux, celui du Bois-de-Beyne et celui, désormais célèbre, du Ry-Ponet.

Nous proposons de continuer cette promenade dans la prochaine édition où nous nous nous attarderons sur l’histoire du château de Neufcour et de son doamine dont dépendait la ferme Sainte-Anne. Peut-être cette belle endormie pourra-t-elle revivre et connaître une nouvelle histoire ?

Découvrez ici l’article en version digitale.

A suivre


Un article extrait de “La Chronique de la Société Royale Le Vieux-Liège” et rédigé à l’occasion de son numéro consacré à son 125ème anniversaire.
(c) asbl Le Vieux-Liège