Ligne 38 ferroviaire

La ligne 38, un siècle d’histoire ferroviaire

Avant de devenir un RAVeL grandement apprécié par les promeneurs, cette ligne de chemin de fer a été un témoin important de l’histoire industrielle de la région.

© Georgy Lejeune.

1868, un grand projet pour relier Liège à l’Allemagne par le rail

Alors que les grandes métropoles belges sont desservies par le rail dès 1842, ce n’est qu’en 1868 que le gouvernement belge a le projet de réaliser une ligne de chemin de fer sur le plateau de Herve au bénéfice des entreprises locales. Cette ligne relierait Liège à Verviers en passant par Argenteau et Micheroux ou Battice. Mais l’Union des Charbonnages, Mines et Usines Métallurgiques de la Province de Liège grince des dents car treize concessions de charbonnages seraient délaissées par ce tracé.

Carte historique de l’ULiège (source : https://donum.uliege.be/handle/2268.1/3746).

Un an plus tard, en 1869, un nouveau projet est déposé par une société privée, la Compagnie des Chemins de Fer du Plateau de Herve. Le tracé passe maintenant par Chênée, Beyne, Fléron, Micheroux, Herve et Battice, à proximité d’une grande partie des charbonnages de la région. Le projet est accepté par le gouvernement et une concession est octroyée à la Compagnie qui débute rapidement la réalisation des travaux.

Carte du bassin houiller belge et des voies navigables et ferrées.

1872, premier tronçon, de Chênée à Battice

Cela fait déjà 25 ans que la gare de Chênée est traversée par la ligne Liège-Verviers (qui rejoint l’Allemagne en longeant la Vesdre). En 1872, Chênée devient la gare de bifurcation de la nouvelle ligne qui rejoint Micheroux (1872) en passant par Vaux-sous-Chèvremont, Chênée-Thiers, Bois-de-Breux, Jupille Bruyères, Beyne-Heusay, Romsée, Fléron et Retinne. Celle-ci est ensuite prolongée jusque Herve (1873) puis Battice (1875). La ligne est ouverte rapidement au trafic de marchandises (1872) puis aux voyageurs (1873). Comme prévu, elle est connectée à de nombreux raccordements privés menant à des sites industriels, dont évidemment les dizaines de charbonnages qui jalonnent la voie : Basse-Ransy, Homvent, Soxhluse (Fond Piquette), Hasard, Lonette, et surtout l’important charbonnage de Wérister.

© Georgy Lejeune.

Un tracé final fortement influencé par l’industrie minière

Mais l’obligation de passer par Chênée pour relier Battice et Verviers (ce qui représente un trajet de 27 km alors que les deux communes sont distantes d’à peine 7 km à vol d’oiseau) ne satisfait pas les industriels locaux qui considèrent que le passage par Chênée équivaut à payer une surtaxe qui grève lourdement le prix de revient du charbon. Ils signent une pétition pour réclamer une nouvelle ligne (qui s’appellera plus tard la 38A) reliant directement Battice à Verviers. La Compagnie du Chemin de Fer du Plateau de Herve est mise en demeure de reprendre les travaux et le tronçon Battice-Verviers est fonctionnel fin 1879.

La section ainsi réalisée donne satisfaction au monde industriel charbonnier mais l’est du plateau se trouve toujours à l’écart de tout moyen de locomotion moderne. En 1873, une prolongation vers Plombières (et ses gisements de métaux non ferreux) puis l’Allemagne (vers Aachen) est décidée mais il faut attendre jusqu’en 1895 pour voir sa réalisation effective du fait de l’opposition de deux groupes d’intérêt, les charbonnages liégeois (qui craignaient la concurrence des charbonnages du pays de Herve) et l’armée (méfiante vis-à-vis de cette ouverture vers l’Allemagne).

En 1897, l’Etat belge devient officiellement propriétaire et exploitant du réseau.

Les raccordements particuliers s’intensifient de manière importante ce qui a pour conséquence de doubler la voie sur la portion Chênée-Micheroux. Cet important travail sera mené entre 1912 et 1914.

C’est vers 1929 que la ligne se voit attribuer son numéro actuel : le 38.

Ligne 38 et paysages du Ry-Ponet, ça grimpe

Revenons en 1872. La réalisation du tronçon initial de cette ligne 38 s’avère être un vrai casse-tête : entre Chênée et Beyne-Heusay, le dénivelé est de 172 mètres (on passe d’une altitude de 70 mètres à 235 mètres pour une distance à vol d’oiseau de 3 kilomètres). En ligne directe, la pente fait en moyenne 21%. Pour contourner la difficulté, la ligne du chemin de fer doit donc suivre une longue courbe en pente douce qui passe à travers Chênée et Grivegnée avant de rejoindre Beyne-Heusay sur un tracé de 9 km. Ceci explique que le tracé dessine une grande boucle qui embrasse le Parc du Ry-Ponet.

Ce tracé a nécessité d’importants travaux de modifications du relief du sol qui ont façonné le paysage et engendré la construction de certains ponts caractéristiques.

© Georgy Lejeune.

Ce profil géographique a également pour conséquence de devoir utiliser de tout temps un matériel de traction spécifique, adapté tant à la pente sévère qu’à la succession des courbes et contre-courbes de rayon serré. La ligne accueillera des locomotives de type 28 possédant trois essieux accouplés et des roues de 1m30 spécialement conçues à cet effet et, plus tard, des types 20 à quatre essieux. Pour vous donner une petite idée de la taille que pouvait avoir ce genre d’engin, imaginez-vous qu’il passait « tout juste » sous un pont semblable à ceux des rues Sart-Moray à Chênée et Neufcour à Beyne-Heusay.

© Georgy Lejeune.

De l’usage de la voie ferrée en temps de guerre

Au début des deux guerres mondiales, les invasions allemandes touchent en premier lieu l’est de la Belgique et donc la ligne 38. Celle-ci subit de ce fait diverses attaques et perturbations (tunnels détruits pour empêcher l’ennemi de passer, gares incendiées).

Cette ligne de chemin de fer est un enjeu militaire important et est tour à tour utilisée par les armées des deux camps : pendant les deux guerres, pour emmener en Allemagne du bétail réquisitionné ; à partir de 1934, pour acheminer les matériaux pour la construction du fort de Battice par l’armée belge ; dès 1944, pour ravitailler les troupes de l’armée américaine combattant sur le front en Allemagne.

Le déclin du rail

Le déclin de l’activité industrielle, et surtout la fermeture des charbonnages, entraîne celui de l’activité ferroviaire sur la ligne 38. Le transport de voyageurs est abandonné en 1957 (il se faisait jusque-là en autorail, sorte de train-tramway avec arrêts facultatifs qu’il fallait signaler à l’avance).

© Georgy Lejeune.

Les rails servent désormais uniquement au trafic de marchandises entre Chênée et Battice. Le transport de marchandises dure encore près de trente ans jusqu’à ce que la ligne soit définitivement mise hors service en 1985. Le dernier passage d’un train (qui s’est appelé « c’est l’djèriin ») de ramassage du matériel ferroviaire a lieu le 3 janvier 1986. Après le démontage des rails, le tracé de 40 km de la ligne 38 est laissé à l’abandon.

Heureuse reconversion de la ligne 38 en RAVeL dès 1995

En 1995, la ligne est en partie reprise dans le programme RAVeL (Réseau Autonome des Voies Lentes) de la Région wallonne qui a pour but de sécuriser les usagers lents et faibles et de relier des voies pour couvrir la Wallonie. Année après année, ce programme permet de rendre vie à d’anciens sites (voies vicinales ou de chemins de fer mais aussi anciennes gares) qui seraient aujourd’hui à l’abandon.

Une chance pour le Parc du Ry-Ponet

A sa conception, le tracé de la ligne 38 a été fortement influencé par le relief très pentu de ce versant de la vallée de la Vesdre et la nécessité de lui faire opérer une si grande boucle a en quelque sorte permis la préservation du site du Ry-Ponet.

Aujourd’hui, la présence de cette ligne reconvertie en RAVeL – bordant le site dans sa partie sud-ouest et dans sa partie nord-est – est un atout hors pair en terme de mobilité douce, de couloir écologique, de connexion avec les quartiers mais aussi de tourisme doux, de portée locale et régionale mais aussi internationale.

Quelques témoins du passé toujours en place… qui balisent aussi l’avenir

En parcourant la ligne 38, vous pourrez encore retrouver quelques traces du passé ferroviaire : les bornes kilométriques, des garde-corps métalliques, des barrières en béton, des ponts aux hauteurs impressionnantes, des anciennes gares (comme la gare de Beyne) et des passages à niveau.

La pleine reconnaissance du Parc du Ry-Ponet pourrait être l’occasion d’encore mieux valoriser ces témoins du passé industriel de notre région et de faire revivre un peu ce pan de notre Histoire.


Pour en savoir plus

C.F.E.B. asbl, « La ligne 38 : un témoin de l’évolution de notre région », Entre-Voies, n° 184 , n°185  et n° 186.

FUNKEN Didier et LEJEUNE Georgy, La Ligne 38, 2006.

La Compagnie des Chemins de Fer du Plateau de Herve selon Wikipedia.

La Ligne 38 selon Wikipedia.

Le Beau Vélo de RAVeL 2019, Topoguide, Renaissance du livre, pp. 172-173.

CHEMINS DU RAIL asbl, Ligne 38.