Le château qui a défié les siècles
Au bout d’une drève de marronniers accessible depuis la rue Neufcour à Beyne-Heusay se dresse une bâtisse de style Renaissance mosane du 17e siècle située au cœur d’un beau domaine autrefois bien plus vaste. Il s’agit du château de Neufcour.
Un vaste domaine pour écrin pendant plus de 6 siècles
Ce château faisait partie d’un vaste domaine d‘une septantaine d’hectares, délimité au sud par la rue Sainte-Anne, s’étendant à l’ouest au-delà de la chapelle Sainte-Anne et au nord au-delà du ruisseau du Ry-Ponet (qui a d’ailleurs porté longtemps le nom de ruisseau du fond de Neufcour puisqu’il se situait en contrebas de ce château), le tout correspondant approximativement au quart nord-est du Parc du Ry-Ponet. La ferme Sainte-Anne (appelée autrefois cense de Bouharmont) faisait donc partie de ce domaine.
Le domaine s’appelait « Biens et héritages de Petite Beyne et Bouharmont » et est resté le même jusqu’au 20e siècle.
Les premiers propriétaires connus au 13e siècle
Les premières traces de ce château remontent à environ 1250, lorsque le domaine était la propriété du chevalier Alexandre de Beyne puis de son héritier le damoiseau Reynier de Beyne.
A partir de 1370 et pour plusieurs siècles, il est devenu la propriété de la famille des Prez de Barxhon (parmi eux Arnould en 1480, Silkin en 1582 et Oger en 1622) [1].
L’arrivée de Lambert de Neufcour et une reconstruction au 17e siècle
C’est un certain Lambert de Neufcour [2] qui achète l’entièreté du domaine en 1659 à la famille de Barxhon et donne son nom à la nouvelle construction qu’il fait ériger entre 1661 et 1663 dans un style Renaissance liégeoise. Le château prend alors l’aspect qu’il a encore aujourd’hui.
Au nord-ouest se dresse une aile comprenant un important corps de logis. Trois autres ailes composant une cour en carré abritent ferme, granges, étables, brasserie, remise aux carrosses, fournil, chenil, colombier, écuries, étables de vaches, de porcs et de brebis, basse-cour.
Le corps de logis aurait contenu de l’argenterie précieuse, des bijoux, des tableaux des peintres Dumoulin, Poussin, le Brun, Carrache et Boucher.
La plus haute tour carrée (composée en fait de deux tours accolées) marquant l’angle nord du château arbore des ancres où l’on peut lire « ANNO 1663 ».
Un jardin fait face au corps de logis. Il comporte de beaux hêtres pourpres, de hauts frênes, des érables sycomores en cépée et plus proche du logis un araucaria du Chili. Des étangs naturels étaient situés en contrebas avec des saules présents à leurs abords. Au sud-est, derrière un catalpa se dressent des allées de hêtres conduisant vers un plateau de culture partiellement emmuré et clôturé par des panneaux en fer forgé.
Au-delà, le domaine comprend de nombreuses prairies, terres et bocages.
En 1689, le château est détruit et saccagé par le passage de troupes de la ligue d’Augsbourg [3]. Le fils, Gaulthier de Neufcour, le reconstruit.
Au cours des siècles et des conflits qui se déroulent sur ces terres, cette demeure est dévastée, incendiée, pillée et chaque fois reconstruite.
Elle était entourée d’un fossé qui a été comblé après un incendie. Certains murs d’une épaisseur d’un mètre ont défié le temps et les avanies.
La situation aux 18e et 19e siècles
Le château et le domaine restent dans la famille de Neufcour jusqu’en 1722. A cette date, pour sortir d’indivision, des héritiers cèdent alors leurs droits à Guillaume de Stembier, un ami de la famille, échevin à Liège. Ses descendants occupent le château pendant plus d’un siècle.
Le château est décrit par Pierre-Lambert de Saumery dans les « Délices du Pays de Liège » parus entre 1738 et 1744. Il s’appelle alors « Le Château de Beyne » (tome 3 p. 270). La description est celle-ci :
En remontant et reprenant l’autre côté du chemin de Verviers, au-dessus de la riche vallée qu’arrosent les rivières d’Ourthe et de Vesdre, on voit diverses collines s’élever confusément, et former diverses gorges qu’arrosent quelques ruisseaux qui se rendent dans ces rivières. Au sommet d’une des plus hautes de ces collines, on aperçoit un château de grande apparence, dont la Basse-Cour percée de deux portes, a des issues au Midi et au Nord. Elle est bordée à l’Occident par un pavillon qui, avec une tour carrée et quelques autres bâtiments, ferme une petite cour, dont l’usage est réservé aux maîtres. La tour est terminée en plate-forme, et flanquée d’une autre tour plus petite. Tout ce corps de logis a vue sur un beau jardin où entre autres ornements on voit avec plaisir plusieurs allées et cabinets de charmille. Ce château appartient aujourd’hui à Monsieur de Stembier, Chanoine de la Cathédrale de Liège, Abbé de Visé, etc.
Les documents de l’Atlas des Chemins vicinaux de 1841, nous apprennent que le propriétaire du domaine est le baron de Stoeckhem, bourgmestre de Verlaine.
En 1871, le domaine est vendu dans son entièreté, y compris la ferme Sainte-Anne (cense de Bouharmont), à Charles de Longrée qui n’y réside pas ou peu, tant la famille est propriétaire de nombreux châteaux.
Un directeur de mine comme nouvel occupant
C’est en 1915 que la société des charbonnages de Wérister acquiert le domaine et le château entretemps fort dégradé. Cette société d’abord charbonnière puis foncière [4] a ensuite pris le nom du château pour devenir l’actuelle Compagnie Financière de Neufcour.
Ce château est donc en lien étroit avec l’exploitation de la houille [5].
Peu après son acquisition par Wérister, le château est complètement restauré et héberge alors la famille de Noël Dessard, patron du charbonnage. Les jardins sont réaménagés et la terrasse du côté du corps de logis est construite vers 1920. Le château et le jardin sont alors bien entretenus par une équipe de mineurs dont l’état de santé ne permet plus de descendre au fond.
Le château durant les guerres
Le château de Neufcour semble avoir été préservé d’une occupation militaire pendant la première guerre mondiale, peut-être parce que c’est le château des Bruyères voisin qui est choisi comme siège par la Kommandatur allemande.
La construction dans les années 30 du Central Téléphonique Fortifié dans le voisinage immédiat du château de Neufcour laisse penser que le château avait été pressenti pour être un potentiel poste de commandement qui aurait pu se révéler utile pendant la deuxième guerre mondiale. Cela n’a visiblement pas été le cas.
La division du domaine et les nouveaux propriétaires au 20e siècle
Si ce n’est une expropriation nécessaire pour le passage du chemin de fer au milieu du 19e siècle (premier tronçon Chênée-Micheroux en 1872), ce n’est qu’au 20e siècle que le domaine subit les plus grosses modifications. Une parcelle est consacrée à la construction du Lycée d’Etat (rasé en 2015).
En 1986, peu après le décès de Noël Dessart, qui a vécu presque centenaire, la société immobilière Neufcour cède le château et ses abords à Monsieur Philippe Ralet, ou plus précisément à la sprl Laboratoire d’Analyses Médicales qui porte son nom. Signe de modernité et de mondialisation, le drapeau de Corée du Sud que l’on voit flotter signale la présence en ces murs ancestraux du consulat de la République de Corée du Sud.
1986 est également la date de parution du Plan de Secteur qui divise le territoire en zones en leur donnant une affectation possible. Certaines parcelles du domaine sont considérées comme urbanisables : les parcelles de part et d’autre de la rue Sainte-Anne et l’ensemble appelé Chat Pirard, à l’extrémité nord-est du domaine (placées en zones d’habitat) ainsi que la ferme Sainte-Anne (placée en « zone de loisirs »). Ces parcelles sont d’abord conservées par la société immobilière Neufcour puis cédées en l’an 2000 à un promoteur immobilier anversois (La Planète Verte). En 2012, les parcelles agricoles sont quant à elles vendues à un exploitant agricole.
La protection du château et de son parc
Le bâtiment est répertorié à l’inventaire du patrimoine de Wallonie depuis 1980.
Le parc du château est repris à l’inventaire des Parcs et jardins historiques de Wallonie.
Le site est également recensé comme un site ARHEM (Arbres et Haies remarquables) et possède quelques arbres classés comme remarquables (marronnier d’Inde, hêtre commun, hêtre pourpre, érable sycomore, catalpa).
L’avenir du château dans le Parc du Ry-Ponet
Il est assez extraordinaire que ce domaine soit resté entier pendant plusieurs siècles malgré les successions, les guerres et les destructions et qu’il ait suffi de la réalisation d’un plan de secteur en 1986 pour enclencher le morcellement du domaine sans aucun souci de son unité historique.
Quant au château, sa silhouette continue à dominer l’ensemble de son ancien domaine et même au-delà. Il est aujourd’hui un élément patrimonial important du Parc du Ry-Ponet, fortement lié à son histoire et ses paysages.
Le château de Neufcour est une propriété privée. Il en va de même pour les pelouses et la drève donnant sur la rue du même nom . Il arrive, à l’occasion d’événements spéciaux, que ses propriétaires donnent exceptionnellement accès à la cour intérieure du château, pour le plus grand plaisir des promeneurs, comme cela a été le cas lors des inoubliables Journées du Patrimoine 2020. Nous les remercions chalheureusement.
[1] Ceci est confirmé dans un jugement de la cour de Jupille de 1478 suite à des conflits de propriété qui indique que les « héritages, court, maison, jardins, cortil, prés, bois et trixhe nommés petite Beyne et Béharmont » appartiennent à Arnould de Barchon succédant à un certain Hurkin de Barchon. Source : Archives de l’Etat citées par Paul GUERIN dans « Le domaine de Neufcour à Beyne Heusay », publication BelairPictures, José Delhez. [2] Il est amusant qu’en plus d’être le nom du nouveau propriétaire qui donne son nom au château, Neufcour signifie également « nouvelle ferme » selon le Dictionnaire des noms de lieux en Wallonie et à Bruxelles. [3] La Ligue d’Augsbourg est une vaste coalition de rois et princes européens dressés contre la France de Louis XIV. Elle réunissait l’Espagne, une grande partie des princes allemands, les Pays-Bas, l’Angleterre, la Suède et le Danemark. [4] Au début du 20e siècle, la société Wérister acquiert un important patrimoine foncier et immobilier pour parer aux risques de dégâts des mines. [5] Ce lien avec la houille date de bien avant l’acquisition du domaine par la société Wérister. En effet, il était possible de ramasser de la houille à même le sol dans tout le domaine du fait de la présence d’affleurement de veines en surface.
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Pour aller plus loin
Fiche de l’Inventaire du Patrimoine du patrimoine culturel immobilier de la Wallonie.
Les Délices du Pays de Liège selon Wikipédia.
Les Délices du Pays de Liège, consultables sur le site internet de la Bibliothèque de l’Université de Namur.
Société anonyme des Charbonnages de Wérister selon Wikipédia.
La ligue d’Augsbourg selon Wikipédia.
DE HARLEZ DE DEULIN Nathalie et DELSEMME Serge, Parcs et jardins historiques de Wallonie, inventaires thématiques, Vol. 4 (Province de Liège, Arrondissements de Liège et Verviers), Ministère de la région wallonne, Division du patrimoine DGATLP, 2001.
DELHEZ José, publication Belair Pictures.
FARCY Philippe, 100 Châteaux de Belgique, connus et méconnus, volume 4, Editions Aparté, novembre 2005.
NISSEN Laurent, Recueil de la tradition et esquisses du village des loups, 3 tomes, consultable auprès de la Commission d’Histoire Locale de Jupille, que nous tenons à remercier chaleureusement.
MINISTERE DE LA CULTURE FRANCAISE, Le patrimoine monumental de la Belgique, Wallonie. Vol. 8-1, Province de Liège, Arrondissement de Liège A-J, Mardaga, 1980.