*Une chapelle, des tilleuls et des Bretons
Située sur la Commune de Beyne-Heusay, surplombant Liège et Chaudfontaine, la chapelle Sainte-Anne entourée de ses majestueux tilleuls est un lieu apaisant qui offre également un point de vue particulièrement impressionnant. Mais elle est aussi le témoin d’un évènement marquant de l’histoire de la Révolution liégeoise.
Deux révolutions jumelles
Si l’on vous dit 1789, quel événement vous vient à l’esprit ? La Révolution Française pardi. Et pourtant, cette année marque également le début de la révolution liégeoise, qui s’étendra sur six années et entraînera la disparition de l’Ancien Régime et de la principauté épiscopale de Liège après huit siècles d’existence.
En 1789, cela fait 5 ans que le prince-évêque de Liège est Monseigneur Hoensbroeck. Hostile à toute réforme, il attise, par son comportement autoritaire, la rébellion qui couve [1].
C’est à la mi-août 1789, un mois donc après la révolution parisienne, que les Liégeois se révoltent et chassent le Prince-Evêque qui fuit en Allemagne afin d’y préparer son retour. En 1790, la révolution débouche sur la création d’une République liégeoise (deux ans avant la France). Le projet de constitution prévoit notamment l’égalité de tous devant l’impôt, l’élection des députés par le peuple et la liberté du travail.
Mais en janvier 1791, l’armée autrichienne replace Hoensbroeck sur le trône épiscopal. La plupart des patriotes liégeois s’exilent à Paris. La restauration de l’Ancien régime est de courte durée. Hoensbroeck décède en juin 1792 et est remplacé par François-Antoine-Marie de Méan. Celui-ci est chassé par les troupes françaises qui prennent le contrôle de la principauté et entrent à Liège en novembre 1792 au milieu de l’enthousiasme populaire.
En 1793, les citoyens liégeois votent massivement en faveur d’un rattachement de la principauté à la France. Mais en mars 1794, les troupes autrichiennes ramènent une seconde fois le prince-évêque à Liège. Cette seconde restauration sera encore plus courte que la première. Trois mois plus tard, l’armée de la république française inflige deux lourdes défaites aux troupes autrichiennes à Fleurus le 26 juin et surtout à Sprimont les 17 et 18 septembre [2].
Bousculée, l’armée autrichienne se replie, une retraite accompagnée de nombreux combats d’arrière-garde. L’un de ceux-ci a lieu à Beyne, à proximité de la ferme de Bouharmont. Cinq soldats français y trouvent la mort. Ils avaient la particularité d’être tous bretons, originaires de la commune de Sainte-Anne d’Auray dans le Morbihan [3].
Une reconnaissance et une protection par un classement comme site
Un petit monument, datant de 1794, a été érigé en leur mémoire. Il possède une niche qui abrite aujourd’hui encore la statue de Sainte-Anne.
Cinq tilleuls ont été plantés autour de ce monument en mémoire des cinq soldats. Il n’en reste plus que quatre (ou disons trois et demi) à ce jour.
En 1889, 100 ans après le début des Révolutions française et liégeoise, une petite chapelle est érigée pour protéger le monument.
C’est sans doute lors d’une commémoration ultérieure qu’a été installée la grande croix celtique au voisinage de la chapelle.
Sur proposition de la Commission Royale des Monuments et Sites, la chapelle et les tilleuls qui l’entourent ont été classés comme site en 1945.
La motivation principale de ce classement ne réside ni dans le caractère esthétique ou historique de l’édifice mais mentionne la situation exceptionnelle du site : « on y jouit d’une vue sur la Vallée de la Vesdre à Chênée, sur l’ouverture de la Vallée de l’Ourthe vers Sauheid et au loin sur les collines de la Meuse en l’assiette de Liège ». La Commission est également impressionnée par l’âge des tilleuls et par le fait que « de tous les points des vallées de la Vesdre et de l’Ourthe à Angleur et Chênée, on les voit dominant la contrée ». Ce classement était sans doute une première manière de protéger le paysage du Parc du Ry-Ponet.
Depuis lors, ce site ne cesse d’impressionner les personnes qui s’y arrêtent. Il a également inspiré plusieurs artistes, dont l’auteure Dominique van Cotthem, le peintre Eugène Dieltiens et le photographe Willi Dorren.
Si ce site vous inspire également, n’hésitez pas à nous faire part de vos œuvres sur ryponet@gmail.com.
[1] La révolte gronde en effet depuis longtemps. Depuis le Règlement de 1684, le pouvoir appartient au prince-évêque, aux chanoines de la cathédrale Saint-Lambert et à l’aristocratie. Le bas clergé, la petite noblesse, la bourgeoisie industrielle, les ouvriers, les paysans, ne participent donc pas à la gestion des affaires publiques – contrairement à ce qui se passait à différents époques par le passé. En outre, la situation du petit peuple n’est guère enviable ; le chômage et la mendicité sévissent. Influencés par la philosophie des Lumières et les idées démocratiques, des voix de plus en plus nombreuses s’élèvent pour réclamer des changements politiques et davantage de justice sociale. [2] Après la bataille de Sprimont, les troupes révolutionnaires françaises reprennent le contrôle de la Principauté au prix de lourdes pertes. Cette bataille est considérée comme celle qui a consacré la fin de l’Ancien Régime sur le territoire actuel de la Belgique. Le 1er octobre 1795, la Convention nationale française décrète en effet l’incorporation, à la suite du vote émis dans ce sens par les Liégeois, de la principauté à la République Française, entraînant par là-même sa disparition et sa répartition sur trois départements : Ourthe (correspondant approximativement à l’actuelle province de Liège), Meuse-Inférieure (actuelles provinces du Limbourg belge et néerlandais) et Sambre-et-Meuse (province de Namur et une partie de la province du Luxembourg). [3] Sainte-Anne-d’Auray est une commune côtière du département du Morbihan qui compte 2.700 habitants. Elle est célèbre internationalement pour son pèlerinage annuel qui a lieu chaque 26 juillet pour commémorer les apparitions en 1625 de Sainte Anne, mère de Marie et grand-mère de Jésus, à un paysan nommé Yvon Nicolazic. En 1872, à l’emplacement de la chapelle initialement construite par Yvon Nicolazic, a été construit un édifice de style néogothique, consacré comme « basilique mineure ». Sainte-Anne-d’Auray est le troisième lieu de pèlerinage en France après Lourdes et Lisieux et attire en moyenne 800.000 pèlerins par an.
Pour aller plus loin
La Révolution liégeoise selon wikipédia
Fiche de l’inventaire du patrimoine culturel immobilier de la Wallonie
WILLEMS J. « Chênée, Hier… Aujourd’hui… Demain », s.l , 1964